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Dossier Christophe Ventura


Ce dossier de synthèse vous est proposé en vue de la préparation de la conférence du 7 février et entend compiler les principales idées dégagées des travaux de l’auteur cités, agrémentés de quelques informations contextuelles et historiques très générales. Il va de soi que la lecture de ces travaux est fortement conseillée afin de compléter cette approche et d’entendre au mieux la pensée qu’ils développent.


Christophe Ventura est un géopolitologue spécialiste de l’histoire latino-américaine, chercheur à l’Iris (Institut de relations internationales et stratégiques), intervenant dans plusieurs médias, particulièrement depuis la parution de son travail (L’éveil d’un continent - Géopolitique de l’Amérique latine et des Caraïbes, Armand Collin, 2014), dans le service public via France Inter ou France Culture, sur la chaine Youtube Mémoires des Luttes, mais depuis plus longtemps encore avec Le Monde Diplomatique. Pour ces articles les plus récents, il a travaillé en octobre 2015 autour de la question uruguayenne « Au Pays des conquêtes syndicales » et en mars 2017 sur la question de la résurgence de la droite et de ses nouvelles stratégies (« Ces petites choses qui font gagner les élections », « À la table des péronistes »). Il est défenseur d’un populisme de gauche (voir Chantal Mouffe, Ernesto Laclau, La Raison Populiste, Buenos Aires, 2005). Pensée du post-marxisme, il s’agit d’un rejet de la théorie classique de lutte des classes mais d’une compréhension d’un moment de l’histoire politique de réaction populaire face à la corruption d’une classe dirigeante pérennisée, cette dynamique pouvant être orientée par les différents partis. L’objectif est ainsi de faire triompher une vision progressiste via la démocratie radicale et le pluralisme agnostique. Il est ainsi proche du mouvement France Insoumise.


Ch.Ventura se penche sur l’Amérique latine en tant qu’ensemble incluant l’Amérique du Sud mais allant aussi jusqu’au Mexique et ses influences au Nord ainsi que les Caraïbes. Ses analyses laissent émerger plusieurs particularités de cette situation qui font sa singularité dans la géopolitique contemporaine mondialisée :


  • Avant tout, il faut entendre le rapport que ces pays entretiennent avec le reste du monde. En l’occurence, l’histoire peut fournir des explications sur le désintérêt et même la condescendance des grandes puissances vis-à-vis de ce continent. Découvert par Christophe Colomb en 1492, il a été rapidement revendiqué comme territoire espagnol avec une exclusivité et ainsi considéré d’emblée comme une ressource. Il apparait ainsi une conception colonialiste précoce vis-à-vis des populations locales comme de celles qui choisirent de s’y installer (dans un monde de monarchies aristocratiques centré sur l’Europe, le départ pour le nouveau continent est un exil et la fonction marchande subit les frais de cette connotation). Comme souvent dans ce type de rapports, la réaction de ces conquérants est un effort de distinction qui passe par plusieurs biais mais signifie concrètement un durcissement du traitement des exploités sur ces nouveaux territoires. Ces conditions sont encore actives, aussi bien le mépris « occidental » pour ces affaires lointaines que dans l’exacerbation des inégalités sur place.


  • De ce premier critère, on peut rapidement déduire que l’économie latino-américaine repose sur les ressources que cette terre peut offrir. Des forêts, des champs, des mines et des puits de pétrole, le tout dans l’un des marchés les moins protégés du globe et qui pèse dans ce sens à l’Organisation Mondiale du Commerce, Ch.Ventura va jusqu’à reprendre la formule de « pays rentier » pour le Vénézuela qui vit à 53% de son économie sur le pétrole. En retard dans l’industrialisation par rapport à des ateliers comme ceux que l’on trouve en Asie, les firmes qui dominent l’économie latino-américaine se concentrent dans l’approvisionnement en matières premières pour l’agro-alimentaire entre-autres. Cette cohésion économique à l’échelle transnationale est renforcée par le traité de libre-échange du Mercosur (Brésil, Argentine, Paraguay, Uruguay, Vénézuela et autres partenaires, créé en 1991). Les plus grosses industries sont situées à la frontière nord du Mexique, dont la particularité est de faire le lien avec les pays de l’Alena (traité avec les Etats Unis et le Canada signé en 1992).


  • Ce traité et son application mettent à jour l’ingérence américaine sur le continent. Du premier rapport colonial, les Etats-Unis dans le cadre de la Guerre Froide ont remplacé l’Europe dans la domination impérialiste. Pour lutter contre le succès du marxisme auprès de ces populations exploités, la CIA n’a pas hésité à installer des dictatures militaires à la tête de ces pays (Chili, Argentine, Bolivie, Brésil, Paraguay, Uruguay) et à développer une stratégie contre-révolutionnaire avec le plan Condor (assassinats organisés et systématisés par les polices secrètes). De ces connivences politiques, la condition était l’ouverture du marché aux grandes firmes d’exploitation étasuniennes. L’élection de Donald Trump confirme aujourd’hui l’unilatéralité de ces rapports notamment au sein de l’Alena. La frontière de Tijuana en est une matérialisation (concentration des usines employant des migrants économiques sous-payés et des commerces qui seraient illégaux aux Etats-Unis en parallèle du projet de mur). L’impérialisme est de ce fait un cheval de bataille des mouvances de gauche. L’ouverture de Cuba offre un cas d’illustration de cette défiance et nombreux sont ceux qui ont condamné la condescendance du Président Barack Obama à l’occasion de l’annonce de l’arrêt progressif de l’embargo.


  • Par ailleurs, la religion catholique largement dominante sur le continent n’es pas nécessairement perçue comme contradictoire avec la pensée socialiste. La « théologie de la libération » est ainsi une autre particularité latino-américaine, un retour au message de défense des plus faibles prôné par l’Eglise mais occulté dans les sociétés européennes où elle a exercé un pouvoir politique direct. Le pape François lui-même né en Argentine a fait une tournée latino-américaine en 2015 et a été interpelé sur de nombreux points de contradiction dans cette tentative de dépolitisation. Le président de l’Equateur tente quant à lui de concilier les deux idéologies, en témoigne de façon insolite son présent au souverain pontife d’une croix en forme de faucille et marteau.


  • En effet, la notion « d’éveil du continent » traite d’un moment politique particulier. Après les dictatures et leurs résolutions diverses, les populations ont fait appel à la gauche dans un retour à la culture sociale et même révolutionnaire. Le mouvement Chaviste au Vénézuela en est la forme la plus aboutie et la plus médiatisée, tandis que l’île de Cuba et son régime castriste présente la particularité d’avoir traversé les 50 dernières années en marge de la libéralisation. Cette identité commune est incarnée en la figure de Simon Bolivar (1783-1830), le « libertador » du pays qui porte aujourd’hui son nom et de ses voisins, dans l’un des premiers mouvements d’émancipation colonial au monde. L’alliance bolivarienne (ALBA, signée en 2004 à La Havane, notamment par Hugo Chavez et Fidel Castro) traduit cette solidarité entre les Etats membres de Cuba, Vénézuela, Bolivie, Nicaragua, Dominique, Antigua-de-Barbuda, Équateur, Saint-Vincent-les-Grenadine, Sainte-Lucie, Saint-Christophe-et-Niévès et Grenade. Concurrençant le Mercosur aussi bien économiquement qu’idéologiquement, l’alliance s’est particulièrement illustrée dans sa réactivité lors des différentes crises climatiques qui ont frappé les pays en son sein mais aussi à l’extérieur.


  • Les défis sociaux qu’imposent un tel contexte trouvent une expression pratique dans l’oeuvre syndicale. Dans ce domaine, l’Uruguay mérite l’analyse que Ventura lui a consacré dans l’article « Au pays des conquêtes syndicales » paru dans Le Monde Diplomatique en octobre 2015. Pionnier des questions sociales, le pays sous la présidence de José Mujica (ex-dangereux-guerillero) a mis au coeur de son fonctionnement politique l’action syndicale, prônant le droit des travailleurs à décider « le prix de leurs mains » (à partir de 2006, voir détail dans « Rafales législatives »). Dix années plus tard, cette décision s’impose comme un progrès évident par rapport à la situation de crise catastrophique (faisant basculer un tiers de la population dans la pauvreté) qu’avaient amenée les cinq années de gouvernance conservatrice précédant l’arrivée au pouvoir du Frente.

  • Il semble malheureusement que les affaires de corruption s’enchaînent même chez les défenseurs des opprimés. L’exemple le plus actuel est celui de l’ex-président Lula (Partido dos Trabalhadores, favoris pour les élections présidentielles d’octobre 2018) au Brésil pour qui la récente décision de la cour d’appel (25 janvier 2018) a encore aggravé la sentence (de 9 à 12 ans de prison ferme). De même avait été frappée Dilma Rousseff (PT) destituée en août 2016. Si ces décisions ne sont pas innocentes d’une pression très politique et même en collaboration avec des organisations mafieuses en vue d’éloigner la gauche du pouvoir, elles soulèvent tout de même la question de ce mal à propos duquel il ne faut pas être naïf. La génération des gouvernements socialistes supposée en finir avec les logiques de l’ancienne classe politique est menacée par une riposte de la droite autant que par ses propres contradictions.


  • Contre la tendance socialiste, la droite latino-américaine se réinvente selon des méthodes non pas inédites (elles rappellent particulièrement l’ascension de Silvio Berlusconi au début des années 1990 en Italie) mais dont l’efficacité n’a d’égal que la dangerosité. Cette pensée catégorisée par le terme de Nouvelle Droite consiste en l’application pure et simple des théories du marketing aux sciences politiques. Les électeurs sont des consommateurs classés selon des profils issus d’études de marché, l’offre politique est adaptée à leurs désirs. En Argentine, Mauricio Macri (héritier de l’industrie de l’automobile italo-argentine) a triomphé par ces méthodes. Sa campagne avait été soigneusement dessinée par M. Jaime Duran Barba dont la rencontre narrée dans « Ces petites choses qui font gagner les élections » (LMD, mars 2017) et les propos effrayent par leur cynisme. Au moment où la pensée révolutionnaire est sur le point de basculer dans le folklore, il s’agit de se montrer particulièrement attentif aux récupérations (exemple du mouvement peroniste argentin du nom du révolutionnaire et qui semble aujourd’hui vidé de toute substance, voir « À la table des peronistes », LMD, mars 2017) et surtout d’y opposer une contre-théorie au moins aussi puissante et qui pourrait se présenter dans un mouvement populiste progressiste. Ce dossier de synthèse vous est proposé en vue de la préparation de la conférence du 7 février et entend compiler les principales idées dégagées des travaux de l’auteur cités, agrémentés de quelques informations contextuelles et historiques très générales. Il va de soi que la lecture de ces travaux est fortement conseillée afin de compléter cette approche et d’entendre au mieux la pensée qu’ils développent.


François-Pierre Melon.





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