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  • Photo du rédacteurCafé-Diplo en Sorbonne

Pour une refondation des pratiques sociales, Felix Gattari, Octobre 1992



" Quelques semaines avant son soudain décès, le 29 août 1992, Félix Guattari nous avait adressé le texte qu’on lira ci-dessus. Avec le poids que lui donne la tragique disparition de son auteur, cette réflexion ambitieuse et totalisante prend en quelque sorte un caractère de testament philosophique. L’auteur y décrit le grand malaise de notre civilisation et propose de nouvelles pistes pour refonder les pratiques sociales. Avec un souffle non dépourvu de poésie, il imagine une « nouvelle renaissance », un « grand réveil » qui arracherait nos sociétés à leur passivité actuelle. "



Critique


Par ce survol des problématiques contemporaines, Gattari établit une synthèse efficace qui conduit à repenser un élément central : les pratiques sociales. Il pointe ainsi du doigt une dimension trop souvent oubliée par les militants politiques qui est celle de l’interaction la plus élémentaire, à l’échelle la plus restreinte entre les individus. En effet, comment prétendre changer les institutions globales alors que les associations les plus faibles numériquement ne parviennent pas à former une puissance vectorielle ? En claire, comment établir un contre-pouvoir efficace sans s’accorder sur l’intérêt commun ? Car c’est bien au niveau des petites structures que se manifeste le problème mais aussi d’où peut émerger la solution. L’expression de « chaos capitaliste » est d’autant plus parlante qu’elle est fausse : le capitalisme ne produit pas le chaos mais bien au contraire établit, postulons inconsciemment, des structures contraignantes qui déterminent jusqu’aux rapports les plus primaires. Nous en venons à penser selon le mode capitaliste (système de valorisation de la réussite personnelle reposant sur la concurrence et l’accumulation de capital dans lequel toute action de régulation est considérée comme nuisible) dans le quotidien. C’est en cela qu’il s’agit d’une idéologie dominante, un conditionnement des fondements de la pensée dès la perception du monde qui nous entoure et qui s’auto-justifie. L’épouvantail de l’histoire officielle crée un doute permanent dans nos engagements qui nous pousse à revendiquer notre individualité au dessus de tout le reste. L’union est systématiquement rejeté par ses avatars fantasmagoriques que sont le communautarisme, le militantisme, toutes ces choses qui -c’est bien connu- conduisent au terrorisme. Ce phénomène pourrait être qualifié de réciprocité de l’erreur fondamentale d’attribution ; le groupe par refus d’assumer la responsabilité d’un acte jugé négatif affirme l’individualité de l’acteur. Il s’agit donc de toujours se retrancher sur la seule économie sociale à visage humain : l’individualisme.

À cela, il faut opposer un modèle d’interaction solidaire. Un groupe lorsqu’il veut se constituer en tant que tel doit définir clairement ses modes de fonctionnement afin de généraliser (et non pas uniformiser) ses valeurs, en clair, établir un sens commun. Pour garantir cette solidarité, il est nécessaire de s’appuyer sur trois points : la transparence, la séparation des pouvoirs et la cohésion. Il existe des méthodes pratiques correspondant à ces qualités qui sont respectivement une communication permanente, la répartition cloisonnée des taches et la réalisation physique des objectifs qui rassemble derrière une réussite effective. Ces régulations permettent la diffusion égale des responsabilités et la mise en place d’une dynamique dans les activités qui sont les facteurs de bon fonctionnement d’un groupe social. Elles demandent cependant un engagement en conscience des individus qui acceptent de s’imposer ce sens commun en planifiant et en réalisant des actions individuelles qui s’inscrivent dans l’action collective. L’enjeu final de ce modèle est de reprendre le contrôle de nos pratiques en construisant une déontologie, ensemble de normes et valeurs structurantes du groupe.

Il ne s’agit donc pas de nier l’individu mais de l’impliquer à chaque échelle. L’écologie fait un bon exemple. Une réponse efficace au changement climatique ne demande pas seulement une culpabilisation personnelle aboutissant à un vague tri des déchets quotidiens qui n’aurait pour finalité que la bonne conscience individuelle, mais ne peut pas non plus se satisfaire d’une rhétorique rejetant la responsabilité sur des Etats voyous ce qui reviendrait au même. Il s’agit de changer les mentalités par la pratique sociale qui permet alors de peser sur les élites en se constituant derrière des revendications précises qui planifient la conservation de l’environnement.


En changeant nos normes de consommations par des principes déontologiques (comme ne pas gaspiller, penser ce que l’on utilise et au fond redonner un sens aux actions les plus banales pour sortir d’une logique de simple consommation), nous nous articulons dans une conscience commune qui nous pousse à nous rassembler par des références partagées. Peuvent alors être envisagées des initiatives communes de plus large échelle comme les organisations de quartier, d’association qui peuvent intégrer ces principes en les réalisant et ainsi en les rendant publics.


Auteur : Psychanalyste et philosophe français, pèse dans le game (proche des Oury, de Lacan, de Deleuze…). Très engagé à gauche, notamment connu pour le terme d’écosophisme.


François-Pierre Melon.


  • Voir aussi : Bernard Friot, « En finir avec les luttes défensives », LMD, 11/2017

  • Felix Gattari, L’Anti-Oedipe. Capitalisme et schizophrénie, Editions de Minuit, 1972.


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