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Stopper la montée de l'insignifiance, Castoriadis, Août 1998


Cornelius Castoriadis, propos recueillis par Daniel Mermet pour France Inter, publié posthume en août 1998


Nullité des fins de la politique comme du reste (art, philosophie, littérature). Dans la pseudo-démocratie, la masse est un tyran absurde qui conduit la pensée nulle part, ses pulsions imposent des décideurs cosmétiques. Ce phénomène révèle toute la vanité d’un système électoral représentatif qui a appris en quelques siècles aux citoyens à faire confiance aux « experts », comme une contre-éducation politique. La seconde raison de cette crise d’insignifiance est la fin des idéologies politiques. Désormais, tous semblent attendre l’effondrement du système par lui-même.

Terrorisme de la pensée unique : le libéralisme a perdu sa valeur de progrès par son échec et devient désormais une non-pensée, comme négation de système alternatif, pour le « moins pire ». Cependant, reconsidérant la crise et ses conséquences, certains recommencent à penser d’autres systèmes. Modèle grec : pas d’élection des gouvernants mais des spécialistes. -> pas de science de la politique. Pour que tous soient capables de gouverner, tous doivent recevoir une éducation politique qui produit la doxa.

Les gouvernants actuels se fient aux experts, par rapport à leurs a priori (ce qui est une inversion logique), empêchant ainsi les citoyens de gouverner. Or, c’est par la participation active que vient l’éducation. Notre société possède le sens critique contre la croyance mais n’apprend pas à s’en servir ; il faut que l’éducation soit réellement centrée sur les affaires du commun. C’est dans ce travail (difficile mais nécessaire) que s’acquerra la liberté.



Critique


Ce texte constitue une sorte de testament de l’auteur, manifeste d’une pensée qu’il refuse d’établir en système. Par cette démarche, Castoriadis conserve une intégrité intellectuelle rare (critique du marxisme, des partis et de l’URSS avant l’heure) et peut ainsi livrer une pensée affinée sur les institutions françaises et leur devenir (ces mots résonnent particulièrement en cette période post-électorale).


Par cette généalogie de la démocratie, il réaffirme son opposition au libéralisme et offre des pistes théoriques pour mettre en oeuvre cet idéal. La révolution ne peut être accomplie par les armes ou par les urnes ; il s’agit donc de la mener à bien par l’éducation. Ici, l’écho d’Antonio Gramsci se fait entendre. Lui-même inscrit dans un contexte à part, rejeté par le parti communiste italien de l’entre-deux-guerres et enfermé par les fascistes jusqu’à sa mort, avait proposé une approche similaire au fil de ses cahiers. Qu’il s’agisse d’une idéologie ou bien d’un doxa, le socialisme trouve ici son cheval de bataille dans un sens du commun à reconstruire face à l’indifférence individualiste toujours en quête de paix civile et de jouissance éphémère. Le débat a peut-être alors quitté les usines de la production de voitures et téléviseurs et doit maintenant annexer celles de la conscience collective, que la chose publique redevienne la chose publique, en sorte. Si l’ambition est honorable, reste à établir les modalités de sa mise en application. En effet, depuis Mai 68, la question de l'éducation est au cœur des problématiques de la gauche et les différentes réformes menées n'ont fait que confirmer l’idéologie de l’extrême-centre. Il eut été intéressant de poser quelques points d’accroche pour répondre à ces premières tentatives : faut-il commencer par l’école primaire, les études supérieures, la production intellectuelle, ou bien par les arts, la télévision, la publicité ? Quelles forces pourraient initier un tel mouvement qui ne soient ni d’un parti, ni d’un gouvernement, ni d’une entreprise privée ?


Castoriadis paraît tout de même avoir vu juste : l’écologie, négligée dans ces années 90, semble être devenue une priorité pour nombre de citoyens, et par des moyens novateurs par leurs acteurs et procédés. De même, le succès de la France Insoumise sur les réseaux sociaux et grâce aux nouvelles technologies de l’information témoigne d’une capacité de contournement des institutions traditionnelles. Si ces formes nouvelles de politique ne sont pas débarrassées de tous les vices, elles permettent d’imaginer un avenir pour une démocratie véritable.


Auteur: Castoriadis (1922-1997) est un penseur français (originaire d’Istanbul) proche des mouvements dits « socialistes de gauche » et de la psychanalyse. Particulièrement critique de ses contemporains (ce qui l’éloigne de Marx, Lénine, Freud ou même du structuralisme), il a milité pour une révolution démocratique, en dehors des logiques de parti. Directeur d’études à l’EHESS, son sens de la contrariété ne l’a pas empêché de participer activement à la recherche des modèles alternatifs au capitalisme. L'Institution imaginaire de la société (1975).


François-Pierre Melon.


Sources et références :

  • Robert Redeker, « Contre le conformisme généralisé », LMD, 08/1997


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