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  • Photo du rédacteurCafé-Diplo en Sorbonne

Ubu règne sur l'université française par Alain Garrigou, Septembre 2017

Dernière mise à jour : 10 févr. 2018



« Des élèves en quête d’université, des professeurs exaspérés, des facultés au bord de l’asphyxie… On ne peut pas dire que la rentrée s’annonce sous les meilleurs auspices. Pour diminuer les fonds publics consacrés à l’enseignement supérieur français, les gouvernements ont imaginé des normes quantitatives et des dispositifs qui tous conduisent à un renforcement de la bureaucratie. Jusqu’à l’absurde. » Alain Garrigou pour le Monde Diplomatique.



Critique


Le conflit est proclamé : il est réel, palpable et déjà consommé. C'est lui la grande nouveauté de la rentrée universitaire, parfaitement déductible de ce passage en revue de l'action néo-libérale à l'université. La vie de l'étudiant.e peut se vivre par ce seul prisme.

Plus que jamais, il semble qu'on ait pas tant affaire à une vulnérabilité de l'université face à une situation économique catastrophique qu'à un rapport de force occasionné par ce qui se comprend comme sa réussite démesurée : ce qu'on nomme la "démocratisation de l'enseignement supérieur" l'a fait définitivement déborder du cadre de la société capitaliste... en lui en désignant un.

La rentrée 2017 semble avoir dégagé l'horizon de cette lutte jusque là incertaine et qu'on jugeait être celle du sempiternel utopisme humaniste (grondé avec bienveillance) contre le pragmatisme d'Etat. Mais c'est qu'on se flatte d'avantage de ce débat qu'on ne l'anime. La réalité a dépassé cette fiction politique bien polie. Tout ce que l'université subit et subira de réformes et de restrictions budgétaires, ne signifiant en fait que ces restructurations pures et simples traitées en effets secondaires, sont désormais objectivement compréhensibles comme des agressions qu'on choisit, selon les tendances politiques et les statuts, d'encaisser ou non. C'est là l'unique débat de la rentrée 2017. On ne collera plus au néo-libéralisme à la fac l'étiquette du compromis raisonnable que par amitié pour ses pratiques ou par adhésion.


A charge de l'université : une forme de la poursuite sociale. Son développement si particulier n'a rien d'une idylle républicaine et tient sa réalité de cela même : l'université semble avoir moins héritée de la volonté républicaine que d'une partie du temps social autrefois consacré à ce pan entier de la production sociale (et donc de l'activité sociale) disparu avec la désindustrialisation. Le champ des possibles hors fiction politique est considérablement restreint : ou ce temps social s'est perdu dans le Néant comme une chose, ou il n'a pu faire autrement que de se réinvestir partout ailleurs. L'affluence étudiante n'est subordonnée à l'idée de sa restriction, de son contrôle ou encore de sélection que par le biais d'un effort idéologique dont il faut encore jouer le jeu. Le fait est qu'elle traduit tout aussi bien la naissance sans enjolivure d'un nouveau moment de la vie sociale... qu'il s'agit ni plus ni moins de vivre. Alors que l'université exclusivement bourgeoise décrite par Nizan trouvait déjà ses « chiens de garde » en n'importe lesquels de ces intellectuels à qui le métier fournissait à la chaîne la carrure du sage, surveillant ses excès de réalisation sociale dans ceux de sa production intellectuelle, pourquoi s'étonner aujourd'hui que tout un modèle économique et social vienne se ratatiner sur l'université démocratisée pour y rappeler son existence ? Si la déviance universitaire a quelque chose d'involontaire, la violence néo-libérale ne peut rien au fait qu'elle s'échine en même temps qu'elle la réforme à déterminer l'université.

Si l'université est menacée dans son existence, c'est qu'elle sait inconsciemment qu'elle est viable dans cette progression traitée en surplus. La crise existentielle s'annonce donc à l'aune de la crise structurelle là où il n'est plus question que de positionnement : elle s'assurera désormais quoiqu'il arrive une responsabilité certaine dans son échec néo-libéral. On ne fera même plus le choix du changement modéré ou raisonnable, de l'économie intelligente censée satisfaire toutes les parties concernées par ce débat (qui concerne par expansion tout le monde) qu'en se rangeant d'un autre côté que celui où l'université s'est affirmée presque malgré elle dans sa déviance inconsciente du modèle social néo-libéral. La question se pose de savoir si on peut à ce point être malade de soi-même...


Auteur: Alain Garrigou, né le 10 juin 1949, est un universitaire français, agrégé d'histoire et agrégé en science politique. Professeur en science politique à l'Université de Paris Ouest - Nanterre La Défense, il collabore également au Monde diplomatique.


Anissa Braham.





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